"On doit remettre de la joie collective": Baptiste Serin se livre sur la fin de saison du RCT

Maître à jouer, Baptiste Serin traverse, à l’image du Rugby club toulonnais, une période plus compliquée. De retour pour affronter Bordeaux-Bègles, son club formateur, après le premier carton rouge de sa carrière contre Toulouse, le demi de mêlée international (30 ans, 46sélections) s’est livré pour Var-matin. Envie de rejouer, rôle de sauveur, paternité, psychologie, manques actuels du RCT, il balaye tous les sujets, avec sincérité.
Lors de la large défaite au Vélodrome face à Toulouse, vous avez écopé du premier carton rouge de votre carrière. Est-il digéré?
Cela n’a pas été évident. Ce qui est sûr, c’est que je ne l’ai pas bien vécu. Pour mes partenaires, pour mes coaches. Il y a une relation de confiance entre nous et je n’ai pas été à la hauteur de ce que je dois apporter. Ça m’a rendu triste mais je veux vite me rattraper. Il me tarde de reprendre.
Avez-vous profité de la coupure pour vous régénérer, vous ressourcer en famille?
Tu te reposes, mais bon... J’aurais préféré le faire avec une victoire et du positif dans la tête. Ce n’était pas le cas. On a aussi pris le temps de se reconnecter collectivement, en équipe. On a fait quelques activités tous ensemble. Je pense que c’était nécessaire. Surtout dans des moments où on est un peu dans le dur. On avait besoin de se resserrer en tant que groupe.
Depuis un mois et demi, à l’image de l’équipe, on vous sent moins décisif. Est-ce également votre ressenti?
C’est possible. Il faut peut-être que j’arrête d’essayer de porter ce costume de… sauveur. Je dois me recentrer sur moi, mon jeu et ce que je dois apporter à l’équipe en tant que numéro 9. Depuis le début de l’année, j’étais plutôt habitué à surfer sur du positif et là, sur les trois derniers matches, je sens que ce qui fonctionnait jusqu’alors marche moins bien. Mais j’ai toujours de l’appétit et l’envie de bien faire. Sûrement trop, même. Et ça fait que je perds un peu mes qualités premières.
Vous parlez de "costume à porter". Comment changer ça quand, au fond, c’est votre personnalité depuis toujours?
Sur les derniers matches, quand je vois qu’on est moins bien, je me dis: "Il faut que je fasse quelque chose". Peut-être que je force un peu trop et que je le prends dans le mauvais sens. Je dois d’abord essayer de bien faire jouer l’équipe, de lui donner un cap. Les opportunités viendront, les brèches vont s’ouvrir. Et je pense que sur les deux trois derniers matches, j’ai mal géré ce secteur. Sur le terrain, je dois faire partie des mecs qui doivent allumer des mèches. Récemment, j’ai peut-être moins senti ça, j’ai moins eu l’opportunité de le faire. Mais allumer une mèche, de temps en temps, c’est aussi bien faire jouer l’équipe, dans le bon tempo. De manière collective et pas individuelle. Il faut que je retrouve le juste milieu.
Globalement, on vous voit moins souriant, comme moins heureux…
(Il sourit) C’est vrai. Une centaine de personnes me l’ont dit. C’est un trait marquant de ma personnalité. Il faut que je retrouve le sourire… mais sans me forcer. J’ai vécu une première partie de saison incroyable. Physiquement et mentalement. Tout se passait bien, on gagnait presque tout le temps… mais c’est dans ces moments plus compliqués que nous, les leaders, on doit remettre de la joie collective.
Payez-vous peut-être, mentalement, le fait d’avoir porté cette équipe sur certaines périodes?
Mentalement, c’est possible. J’ai également traversé une période compliquée personnellement, il n’y a pas si longtemps. J’ai eu du très positif… et du très négatif à gérer. Mais comme une personne normale. Ce sont des étapes de la vie, et ce n’est pas une excuse. Peut-être que j’ai mal digéré ces moments-là. J’ai senti que je me suis mis plus de pression que d’habitude. Alors que je ne suis pas du tout comme ça. Je le sais, il faut que je joue plus libéré… c’est de cette manière que je pense être le meilleur.
À la naissance de votre fils, vous nous aviez confié moins dormir… et moins récupérer. Qu’en est-il, presque six mois plus tard?
Hum, ce n’est pas toujours facile (rires) mais c’est beaucoup de bonheur. Forcément, on dépense de l’énergie ailleurs, mais ça aide à relativiser sur pas mal de choses au quotidien. Je réfléchis sur l’équilibre à trouver pour être un bon papa, mais aussi un bon joueur de rugby. Il faut réussir à dissocier les deux. C’est de la psychologie, mais je dois encore progresser en tant que personne.
Comment faire la part des choses quand on prend autant à cœur son quotidien?
C’est un travail. On est beaucoup à être comme ça, au club. Que ce soit chez les joueurs, mais aussi chez les coaches (sourire). On est tous exigeants. Il est certain qu’à mon début de carrière, je ne pouvais pas accepter un entraînement avec trois en-avant. Ça me mettait hors de moi. Aujourd’hui, j’essaye de prendre un peu plus de recul et de ne pas voir que le négatif. C’est quand même bien de le voir, mais pas de le ressasser tout le temps. Ce groupe n’en a pas besoin. Il faut réussir à forcer sa personnalité pour le bien de l’équipe.
Cela vient-il avec l’expérience?
Avec l’expérience, mais aussi avec sa vie à l’extérieur. Il faut être curieux et avoir une ouverture d’esprit pour évoluer. Voir ce qu’est la vie réelle. Vivre de notre passion, dans une bulle, ça reste une chance. Voir des gens qui se battent contre des choses qu’ils n’ont pas choisies, qui sont bien plus dures, ça fait relativiser. C’est ça, la réalité. Et de s’en rendre compte, personnellement, ça m’aide. Que ce soit dans la vie, comme dans le rugby.
Pour en revenir au rugby, justement, que manque-t-il au RCT ces dernières semaines?
Un peu de joie, je pense. Un peu de liberté. Personne ne nous freine, mais inconsciemment, on tente moins. Peut-être par peur de l’objectif, finalement. Alors qu’on est meilleur quand on est libre. Et ça ne viendra qu’en se relâchant. Il faut que chacun joue sur ses qualités et qu’on se batte. C’est incroyable mais, il y a quelques semaines, on avait perdu seulement deux matches, et pourtant, on avait l’impression d’être treizièmes du classement.
C’est là où on doit avoir beaucoup de recul. Il y a un phénomène régional. Les gens ne sont pas habitués à ce que le club perde et forcément, ce sentiment est décuplé. On doit être hermétique pour entreprendre au mieux sur le terrain. Jouer, et être des morts de faim sur le terrain. C’est ce qui a fait notre force toute la saison. Rien n’était parfait, mais il y avait toujours un mec pour rattraper et faire l’effort pour l’autre. Et ça, on va le retrouver. J’en suis sûr.
Var-Matin